Texte d'André Forfert


Entrée dans l'atelier

Dans la cour, dans l'atelier, sous l'établi, il y a des bouts de pierres, de roches, ramassés dans des carrières, sur des chantiers de démolition, au cours de promenades en campagne, ou apportés par des amis qui ont pensé au sculpteur en voyant ces "choses" brutes. Ils se sont dit : « André le transformera avec ses outils et ses idées!...»

Oui, en voyant le bout de roche grise, le sculpteur se met à penser, ce jour là, à un oiseau. (Les oiseaux sont une de ses obsessions. Il rêve d'être réincarné en oiseau. Cela lui permettra de surveiller le monde, avec distance, partant dans les nuages quand les choses se font trop laides, et évitant les merdes s'installant au niveau des humains!..)

Il cale le bloc sur l'établi, le caresse longtemps des yeux, puis de la main, enfin avec la pointerolle, il commence par creuser la matière, à faire des sillons enveloppant les formes des ailes. Il hésite avant de positionner la tête et son bec... Et là ... POF! ... Il voit au balcon d'en face, une miss, pas vilaine qui discrètement, se couche nue derrière le linge qui sèche sur trois fils. L'oeil du sculpteur, et celui de l'homme, contemplent le linge avec l'espoir que le vent complice, va agiter tout çà, pour révéler joyeusement, le corps couché s'offrant au soleil!

Et c'est ainsi qu'un corps de femme passe du balcon à la pierre où il se construit sous les ailes de l'oiseau. La tête de celui-ci va basculer afin de scruter ce corps pour lequel la pierre sera lissée. L'oiseau restera brut avec toutes les lignes de l'outil; la peau de femme sera poncée et tous les grains de beauté de la roche apparaîtront

Le sculpteur bouge souvent sa pierre. Il la présente au soleil afin que celui-ci puisse jouer avec elle. Les volumes semblent bouger et l'enchainement des ombres avec les taches de lumière, s'il se met à séduire l'oeil, c'est que le soleil a bien joué et qu'il est content! Là, le sculpteur peut commencer à ressentir du plaisir, une espèce de jouissance.

Une sculpture, c'est un jouet pour la lumière! Si celle-ci s'est plue dans ses caresses sur la matière, c'est que la sculpture est proche de la réussite...

Cette petite histoire concerne la création spontanée. Le vrai nom est : LA TAILLE DIRECTE. Il n'y a pas d'esquisse, de maquette. Tout naît au bout de l'outil, à l'instant, sans "repentir" possible. Chaque coup est définitif! Alors qu'en modelage, en métal coulé ou forgé, on peut toujours se repentir, retoucher, souder.

Les oeuvres spontanées, nées des hasards du quotidien, des émotions les plus diverses, çà, c'est la sculpture pour laquelle j'ai sacrifié beaucoup de choses et de gens, et qui m'a donné du bonheur, bien souvent ...

Ces oeuvres réalisées, elles finissaient par apporter du plaisir à ceux qui les avaient aimées avec leurs yeux et avec leur coeur.

Plus tard, tout a basculé quand les achats spontanés, d'oeuvres spontanées, ont cessé. En 8I, la clientèle a disparu, évitant de se montrer en tant que citoyens nantis, dans une société devenue socialiste. Alors là, il y eut la "commande publique" qui naquit encouragée par Jack Lang, Ministre.

Tout devint différent: les communes, régions etc..., demandaient des dossiers, maquettes, devis. Le tout complété par des « négociations », des espèces d'examens de passage où l'artiste semble savoir moins de choses que les "examinateurs"! ...

Sauf exception, tout est imposé: le matériau, le thème etc.

Mon amour, ma passîon, pour mon art, ont chuté à cette époque! Il n'y avait plus à rêver et à inscrire ces rêves dans la matière. Il y avait à penser, à calculer, à louvoyer, à ronronner... Toutes choses pour lesquelles je suis sans talent! Mais il fallait MANGER ! ! !

,